L'âge d'or du cinéma Farsi

La Carte Blanche de Marjane Satrapi en 2021 nous permit de redécouvrir Prince Ehtejab, chef-d’œuvre audacieux du cinéma iranien d’avant la révolution, nous rappelant l’existence d’un art tué dans l’œuf par le pouvoir islamiste. Si l’Occident tend à identifier le cinéma iranien à l’après 1979, l’industrie cinématographique du pays vit pourtant le jour en 1900, et connut plusieurs mouvements d’inspiration extrêmement variée, du plus subversif au plus divertissant. Parmi les vagues les plus populaires, naît, à l’aube des années 50, celle du filmfarsi, le terme fārsi désignant à l'origine les films étrangers (mal) doublés en persan, puis par dérision une catégorie à part entière de productions nationales. Cette catégorie est comparable aux films bollywoodiens dans son mélange de chants, de danses, d’amours sucrés, de mélodrames, et de bagarres. La vague du filmfarsi s’étendra jusqu’en 1979.

Le filmfarsi se caractérise par un mashup de plusieurs cinémas populaires, occidentaux ou locaux, un mélange des genres, un goût du recyclage d’où naît un art totalement impur où la comédie peut tourner au drame et le drame à la farce, dans une trivialité inédite. La plupart du temps improvisés de la production au tournage, dans des décors limités, les filmfarsi naviguent entre le B et le Z, dans un tourbillon de zooms et de bandes sons empruntées ailleurs. Cinéma du petit peuple, le mettant en scène (la classe moyenne y est quasi absente), il oppose régulièrement la pureté villageoise à la corruption, ce qui explique peut-être aussi le succès phénoménal d’un genre à la fois détesté par les intellectuels et le gouvernement. Que ce soit dans les films de villages (Le Rossignol de la ferme (1957), La chanson du village (1961), Les Hirondelles retournent à leur nid (1963)), les mélodrames familiaux (Le vagabond (1952), La mère (1952) Négligé (1953)) ou les farces fantastiques (Une soirée en enfer (1959), La mariée fugitive (1958), Je mourrais pour de l'argent (1959), L'étoile a brillé (1963)), les mêmes intrigues et les mêmes modèles s’y répètent inlassablement avec des figures masculines archétypiques d’hommes cruels et/ou courageux, d’idiots, de bandits, de tueurs, mais toujours en quête de rédemption, ce qui aboutit à des fins moralisatrices et fleur bleue. Quant aux femmes, lorsqu’elles ne sont pas mères, elles sont des putains que l’homme remettra dans le droit chemin. Une figure essentielle incarne ce "sauveur", mauvais garçon incarnant à la fois la puissance masculine et le patriarcat religieux : le Jahel. Pour poursuivre dans cette démarche schizophrène caractéristique de l’Iran de l’époque, si la femme de petite vertu doit connaître la rédemption, il faut d’abord la représenter dans le spectacle de sa luxure, donnant alors à la spectatrice l’image d’une fausse liberté féminine et au spectateur l’occasion d’en contempler ses vices. Comble du paradoxe parmi les motifs récurrents du filmfarsi : la femme voilée en mini-jupe. Comme le dit Ehsan Khoshbakht, historien et réalisateur du documentaire FilmFarsi, avec le début de la révolution, il n’y a pas que les femmes qui furent voilées mais aussi la culture ; les cinémas étaient incendiés, les films et les matériels détruits, et la seule possibilité qu’eurent les générations suivantes de les découvrir fut l’acquisition de VHS illégales. Voici quelques traces d’un cinéma non pas disparu mais rayé, effacé, dont la majorité des acteurs, craignant d’être poursuivis et exécutés, furent contraints à la fuite et à l’exil. Au regard de l’actualité brûlante, l’histoire ne serait-elle qu’un perpétuel recommencement...