Cycle intégral : Lady Yakuza

Devant le succès de la saga des Woman Gambler (1966-1971) de la Daiei avec Kyoko Enami, la Toei se doit de lui offrir une concurrente de taille. La réponse sera Lady Yakuza, dont Shigeru Okada confie l’écriture au grand scénariste et cinéaste Norifumi Suzuki, futur réalisateur du Couvent de La Bête Sacrée (1974). Alors qu’elle n’avait eu droit jusqu’à présent qu’à des rôles secondaires, Sumiko Fuji, fille du producteur de la Toei Koji Shundo, est choisie pour incarner Oryu huit films durant, sous le nom de Junko Fuji. Du jour au lendemain, elle devient une star.

Comme le dira Paul Schrader en 1974, c’est peut-être la première actrice à égaler ses homologues masculins que sont Ken Takakura et Koji Tsurata. Son talent explose au sein d’un sous-genre policier codifié et épouse la cause de son héroïne dans sa dualité. Paul Schrader qualifiera Oryu de « femme gracieuse et polie qui, dans les circonstances appropriées, peut se venger violemment de l’homme qui l’opprime sans jamais perdre sa féminité. » Lady Yakuza incarne le paradoxe d’une réappropriation féminine du Yakuza eiga, dont l’une des caractéristiques principales était de mettre en scène un univers exclusivement masculin avec des femmes effacées ou absentes.

Pendant que Seijun Suzuki impose ses polars noirs et glacés sublimés par la violence d’un Joe Shishido presque autiste, ou que Kinji Fukasaku s’affirme déjà dans un style très dur avant d’anarchiser le polar avec ses  « combats sans code d’honneur », Lady Yakuza impose une grâce inédite à ces ninkyo eiga, entre la lame et l’esprit, une romantisation du genre parfois proche du mélodrame ; où les archétypes traditionnels d’écriture de personnages féminins y sont désormais une force, lui apportant une épaisseur supplémentaire, très loin du mutisme de ses équivalents masculins.

Plutôt que de s’essouffler ou de se répéter au fil des opus, chaque nouvelle aventure de notre joueuse yakuza au tatouage de pivoine en relance toujours les enjeux, anticipant sur ceux des séries TV, approfondissant la psychologie des personnages. Chaque épisode donne l’occasion de renouer avec cette amie familière. Esthétiquement, les cinéastes tentent de nouvelles choses, notamment dans une gestion de l’espace toujours plus élaborée. L’un des éléments les plus fascinants de cette série est le fait d’y voir évoluer au fur et à mesure le rapport à la violence du cinéma d’exploitation, dont les exigences et les cahiers des charges se modifient pour impressionner un spectateur de plus en plus avide de sensations fortes. Les finales apocalyptiques y font jaillir le sang à la manière des chambaras les plus gores.

Adorée par Tarantino qui lui rend hommage dans Kill Bill, Lady Yakuza est donc plus qu’une héroïne : une révolution qui va ouvrir la voie à bien d’autres insoumises fantastiques comme La Femme Scorpion ou Lady Snowblood.

En collaboration avec Carlotta Films.