Steven Arnold Forever !

Tout commence tel un conte, par la découverte dans le grenier de la maison familiale d’Oakland d’une vieille malle pleine de costumes et de maquillages, alors que Steven Arnold (1943–1994) n’a que cinq ans. De là naîtra son goût immodéré pour la transformation. Il ne cesse de se déguiser, s’amuse, divertit ses proches, puis, encouragé par ses parents, construit décors et marionnettes et conçoit des spectacles pour les enfants du quartier. En 1958, il fait la connaissance de celui qui sera son modèle et son ami éternel, Pandora. Dans sa chambre « qui ressemble à celle de Louis XIV », toujours mu par le plaisir du travestissement, il passe avec lui des soirées où le champagne se mêle au sirop contre la toux et aux paradis artificiels... La rencontre des deux lycéens avec leur professeur d’art Violet Chew sera décisive. Adepte des spiritualités chinoise et asiatique, elle croit en la vertu de l’expression artistique pour sauver les âmes. Le mysticisme d’Arnold y puise sa source, d’autant que Violet l’initie aussi aux antiquités et aux brocantes, et lui fait abandonner la plupart des cours pour passer plus de temps avec son élève. Diplômé en 1961, Arnold étudie au San Francisco Art Institute, rejoint l’École des Beaux-Arts de Paris quelques années plus tard, mais s’y sent prisonnier. On le retrouve sur la petite île de Formentera au large de l’Espagne, vivant en communauté avec des étudiants américains, dans des grottes et des villas, partageant son temps entre les peintures, les costumes et le LSD, selon lui source inouïe d’inspiration pour explorer d’autres dimensions. À son retour à l’Art Institute en 1965, il expérimente le cinéma : son film de fin d’études Messages, Messages (avec sa muse et actrice fétiche, Ruth Weiss) obtient un tel succès critique qu’il est invité sur plusieurs festivals de renom (Cannes, Chicago, Toronto). Parallèlement Arnold organise des soirées consacrées aux premiers films surréalistes, prélude à la création en 1968 des Nocturnal Dreamshows, séances de minuit hebdomadaires très populaires, qui sont également à l’origine du lancement de la troupe de performeuses drag-queen psychédéliques « The Cockettes ». Non seulement son premier long métrage Luminous Procuress (1972) le consacre meilleur réalisateur au Festival international du film de San Francisco, mais il attire l’attention de Salvador Dalí qui organise une projection privée réservée à l’élite new-yorkaise dont fait partie Andy Warhol : il adore le film. Protégé du peintre catalan qui le baptise « prince » de sa cour des miracles, il part en 1974 étudier avec lui en Espagne, et travaille sur le Teatro-Museo Dalí. Il côtoie d’autres icônes de la contre-culture telles que Donyale Luna, Amanda Lear, Marianne Faithfull, David Bowie et Mick Jagger. De retour en Californie, il abandonne le cinéma pour d’autres horizons, ouvre Zanzibar, son studio photo, à Los Angeles. À partir de 1982, il y devient maître du tableau vivant, avec des modèles à demi-nus dans des poses qui tiennent de l’antique, du glamour et du rétro-futuriste. Également sculpteur, dessinateur, costumier… Arnold inscrit sa multidisciplinarité comme la marque de son refus des règles et de son excentricité. Arnold meurt du SIDA en 1994. Très prisées, ses œuvres sont dispersées dans de nombreux musées prestigieux à travers le monde. Arnold élabore un monde de fantasmes sexuels ou candides, pleins de rêves et de magie où l’iconologie queer le dispute à la féerie mystique. Artiste d’assemblage, il recycle dans ses œuvres des objets impurs – des bouchons de bouteilles, des jouets, des pièces de monnaie – et cultive le jetable, le déchet, le bric-à-brac comme un trésor, comme si son esthétique camp n’avait jamais totalement quitté les rivages de l’enfance.