Hommage Roger Corman (1926 - 2024)

S’il arrive fréquemment d’évoquer les premières armes de Coppola, Bogdanovitch, Hellman, Dante ou Bartel dans la fameuse écurie Corman, les débuts de Roger Corman lui-même sont moins célèbres. Né le 5 avril 1926 à Detroit, il s’installe à Los Angeles dans les années 30 avec sa famille. Il suit d’abord les traces de son père en tant qu’ingénieur et démissionne deux jours après avoir été embauché chez US Electrical Motors. En 1948, il trouve un emploi de coursier à la Twentieth Century Fox, y devient lecteur de scénarios, s’ennuie, obtient une bourse, étudie à Oxford puis s‘installe à Paris avant de repartir à zéro à son retour aux États-Unis. Il vend un scénario à la Allied Artists. Le résultat final, catastrophique, le décide à monter une mini boîte de production. Pour tourner un autre scénario, il obtient d’une compagnie le prêt d’un sous-marin pour tourner Monster from the Ocean Floor (1954), son premier film avec une pieuvre mutante confectionnée par un de ses amis, Wyott Ordung, pour 18.000 dollars.

On a affilié à tort Corman à la série B à l’heure où elle disparaissait des salles avec l’avènement de la télé. Corman instaure surtout un système de production d’une inventivité folle avec un budget et un temps limités, une fidèle équipe, des décors réutilisés d’un film à l’autre, du brouillard pour cacher la misère... «Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime»: le titre de son autobiographie le définit parfaitement. Après deux premières perles d’humour noir (A Bucket of Blood en 1959 et La Petite Boutique des horreurs en 1960), il connaît son âge d’or de cinéaste dans sa période American International Pictures (AIP), la compagnie de James Nicholson et Samuel Arkoff à laquelle s’associe Corman dans les années 60. À son apogée, son cycle Poe répond à l’Italie fantastique de Mario Bava ou Riccardo Freda. Avec Richard Matheson ou Charles Beaumont à l’écriture, Le Masque de la Mort Rouge, La Chute de la Maison Usher ou La Tombe de Ligeia plongent dans les brumes névrotiques gothiques incarnées par un Vincent Price impérial. Avec plus de 550 films produits et une cinquantaine d’autres réalisés, de l’AIP à la New World Pictures qu’il fonde en 1970 (qui distribue aussi aux États-Unis les films de Bergman, Truffaut, Fellini, Kurosawa et Herzog), puis la Concorde-New Horizons, il touchera à tous les genres: western, film de gangsters, de prisons de femmes, de délinquance juvénile, et surtout la SF et le fantastique comme genres de prédilection. Roger Corman profite aussi des modes de l’époque, lançant la vague des Wild Angels, bikers libres traversant l’Amérique et se mettant à dos une population ayant le fantasme d’anéantir la marginalité. De perles psychédéliques (The Trip) en brûlot politique inattendu (The Intruder), Corman évolue jusqu’à son ultime film en tant que réalisateur en 1990, variation étonnante autour de Frankenstein (Frankenstein Unbound).

C’est toute une conception économique et esthétique qui disparaît avec sa mort. Sa carrière folle nous tend le portrait en creux d’une évolution des États-Unis sur presque un siècle. Une page est définitivement tournée.