Carte Blanche Cosey Fanni Tutti

Le nom de Cosey Fanni Tutti revient régulièrement hanter L’Étrange Festival sous différentes formes, notamment en tant que figure incontournable de l’avant-garde musicale anglaise aux côtés de Genesis P-Orridge (morte en 2020), au sein du groupe Throbbing Gristle. La voir enfin cette année nous offrir une sélection de ses choix cinématographiques constitue un honneur et un événement. Rendre compte en quelques lignes des talents multidisciplinaires de Cosey Fanni Tutti s’avère un exercice périlleux. Heureusement le titre des quelques 500 pages de sa bouleversante autobiographie, récemment traduite en France : Art Sex Music, nous donne trois mots à même de résumer les vies de cette artiste inclassable.

Née Christine Carol Newby en 1951, elle se produit d’abord sous le nom de Cosmosis avant de se baptiser Cosey Fanni Tutti, hommage jeu de mots à l’opéra Cosi fan tutte et premier geste de rébellion et d’insoumission : car si toutes les femmes le font, Cosey ne le fera jamais comme tout le monde.

Co-fondatrice de COUM Transmissions, considéré comme beaucoup comme le jalon fondateur de la musique industrielle, elle métamorphose avec ce collectif le concept de groupe musical en art total, livré à la performance et à l’installation, où la transgression domine, en une fascination folle pour la violence et la pornographie. Entre l’exposition de tampons périodiques usagés (sélectionnée en 1975 pour représenter la Grande-Bretagne à la IXe Biennale de Paris), l’amour des serial killers, ou l’intérêt pour la prostitution, elle n’en est pas à un scandale près, toujours mue par ce désir d’explorer les frontières, les extrêmes, bravant les interdits par-delà les tabous. Le rejet de son œuvre par des médias et des institutions brandissant la censure ne vient que confirmer la dimension politique et métaphysique de son œuvre. LA musique, pour elle, ne s’écoute pas, elle se ressent, dans le plaisir comme la douleur. Après la rupture – jamais définitive, elle y reviendra toujours – avec Throbbing Gristle, elle fonde, avec Chris Carter, Chris & Cosey, qui deviendra Carter Tutti, plus porté vers l’électro et la synth-pop. « Mon art est ma vie, ma vie est mon art », scande-t-elle comme un leitmotiv.

Activiste pour une autre pornographie, une sexualité différente, elle exalte par le corps l’appropriation et le contrôle total de celui-ci, qui trouve son apogée dans sa participation en tant que modèle et actrice à des magazines et des films pornographiques, son travail de strip-teaseuse (elle dirigera une agence de strip-tease londonienne). Cosey va jusqu’au bout de ses convictions, tel un voyage vers l’affranchissement de toutes règles, et poursuit encore aujourd’hui sa quête par sa musique et ses performances. Elle compose notamment la bande-son du docu-fiction que Caroline Catz consacra à une autre pionnière de la musique électro : Delia Derbyshire (présenté l’an dernier au festival). Tout ressemble pour Cosey Fanni Tutti à une catharsis permanente. Chez elle, l’inspiration dadaïste se confond avec la quête existentielle : éprouver son moi, faire de son enveloppe charnelle un sujet, un objet, une œuvre.